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Confinement, continuité pédagogique, “télétravail” : autant de pièges pour l’école.
Une première semaine de « confinement surprise » se termine enfin.
Elle a été intense pour les personnels de l’éducation nationale publique comme privée.
En fait, elle a commencé dès jeudi dernier quand notre ministre nous a annoncé devoir continuer pour être contredit le soir même par le président. La hiérarchie dépassée a mis du temps à s’adapter, puisque certains collègues ont été prévenus de ne pas se rendre sur leur lieu de travail le dimanche soir pour le lundi matin… d’autre pas d’ailleurs (en particulier les personnels d’entretien et les Professeurs des écoles. )
Après un court temps de sidération accompagné de deux jours de beau temps… et la nécessité de faire ses courses avant mardi midi, il a fallu concevoir dans l’urgence, sans formation, sans préparation, des cours à distance pour les élèves. Pour s’apercevoir lundi qu’une grande partie de nos outils (plate-forme ENT en particulier) ne suivait pas. Toutes les plateformes ont planté le premier jour. Beaucoup se sont alors reportés vers des offres du privé, au mépris de toutes les RGPD et autres réserves vis-à-vis de données transmises…
Situation particulière aussi des Lycées professionnels où les élèves ont été rapatriés en catastrophe de leurs périodes de formation en entreprise. Par ailleurs, les enseignants en atelier se sont trouvés totalement dépourvus face à la conversion virtuelle de leur métier ! (la bétonnière dans le salon ? )
Une des priorités a alors été de trouver des moyens de créer un lien avec nos usagers, alors que beaucoup n’en n’ont ni l’habitude, ni le temps ! Souvent le mail a été privilégié... sous-estimant la fracture numérique. Pour finalement se rendre compte que les élèves (et leurs parents) ont du mal à s’organiser, sont submergés, et qu’une heure de travail scolaire à la maison correspond au mieux à une demi-journée de travail en cours. Les parents ne sont pas enseignants ! Et nous n’avons aucune idée de la réalité de leur vie confinée ? Particulièrement difficile pour les élèves les plus en difficulté comme les allophones en foyer, les élèves en situation de handicap par exemple.
Chacun constate ce vendredi qu’il est épuisé. Elèves, parents et profs.
L’intensité du travail de cette semaine a été doublé pour beaucoup par la nécessité de s’occuper des enfants à la maison et de trouver des solutions pour s’adapter aux nouvelles règles de confinement. Rien que faire les courses…
Nous n’étions absolument pas préparés et pire : nous avons dû relayer dans les derniers temps les mensonges du gouvernement auprès des élèves sur la non-gravité de la situation ; et ce n’est pas Buzyn qui nous contredira là-dessus !
Et il faut encore ajouter le climat lourd qui pèse sur le moral, l’incertitude du lendemain. Nos élèves sont traumatisés… les personnels aussi. Aucun soutien psychologique. Pire : des enseignants qui demandent d’écrire un journal de confinement pour… l’évaluer !
Pour certains même, il a fallu convaincre une hiérarchie tatillonne voire agressive qu’il fallait un peu de souplesse dans l’organisation du travail. Des recteurs ont produit des consignes contraires au ministère, des IEN demandent déjà des retours de pratique, voire des évaluations complètes, des proviseurs et principaux ont maintenu des réunions au-delà des limites imposées ! Pour préparer leur promotion future comme de bons petits soldats. Par la suite, certains n’ont pas tardé à verser dans le flicage généralisé des personnels que l’o ne peut tolérer dans une période où des collègues vivent des situations personnelles très dégradées.
Heureusement, ces situations ont été peu nombreuses, et les syndicats enseignants, ont pu en régler rapidement.
Mais un petit tour sur les réseaux sociaux permet de mesurer le choc, tant chez les parents que chez les enseignants, bien souvent très isolés (surtout les professeurs des écoles).
Dans le même temps, chacun a pu constater l’énorme investissement des personnels cette semaine, à tous les niveaux, des enseignants aux personnels administratifs. C’est la preuve que quand on fait confiance aux personnels, ils fournissent une énergie considérable. Le fameux travail réel !
Le seul qui ne l’a pas saisi : c’est Jean-Michel Blanquer, qui envisage de considérer cette période comme des vacances à récupérer plus tard ! (Article du parisien). Un casus-belli.
Il va cependant maintenant falloir savoir lever le pied.
Il est nécessaire maintenant de stabiliser cette nouvelle organisation du travail, d'arrêter le sprint et de prendre conscience que nous sommes dans un marathon.
Il faut que les collègues, mais aussi la hiérarchie, acceptent d’être modestes dans ce qui est demandé pour que, enseignants comme élèves et parents, nous passions cette période sans trop nous épuiser à la tâche et nous fâcher. Et aussi que le fossé ne se soit pas creusé encore plus entre les élèves dont les familles ont pu faire l’école à la maison” et les autres. Car pour le moment, on ne fait qu’accroitre les inégalités scolaires…
Et on ne parle même pas des examens de fin d’année… maintenus, pas maintenus ?
La nouvelle organisation mise en avant par notre employeur : “télétravail”, n’est pas la réalité au travail que nous vivons actuellement. Le télétravail, c’est un statut défini, très cadré parce qu’il est dangereux :
- le risque d’isolement, qui fait que le télétravail ne peut être que de quelques jours par semaine, un ou deux de préférence, pour rester physiquement en contact avec les collègues le reste du temps ;
- le risque de se surinvestir, car si l’on est à la maison, on veut prouver que pour autant on n’est pas en train de se tourner les pouces ; on a tendance à ne plus se donner d’horaires de travail bien définis.
- le risque de ne pas avoir le matériel informatique adapté, avoir chacun un ordinateur personnel, un micro, une caméra, une liaison internet suffisante, une imprimante et des cartouches, et du papier… pour combien de temps ? Avoir un écran qui ne fatigue pas les yeux, un fauteuil de bureau qui préserve le dos, un espace calme pour se concentrer …Le tout gratuit pour l’employeur !
Cette possibilité de télétravail n’existe d’ailleurs dans notre académie que depuis l’année dernière, avec un champs très limité (les agents qui travaillent au rectorat ou dans les DSDEN). Cela n’était absolument pas prévu pour les enseignants.
Il va donc falloir, en tant que syndicat que nous rappelions :
- la rigueur dans la gestion du début et de la fin du télétravail, des heures de pause et de repas ; car nous allons voir des collègues se connecter ce week end tandis que d’autres « fliquent » déjà les élèves qui ne se connectent pas à 8 heures du matin ! si si !
- bouger, marcher pour éviter les problèmes de santé au travail (immobilité, posture assise, écran...) ; et la déprime.
- ne pas hésiter à partager avec ses collègues habituels. Les outils sont multiples (mails, Pronote, whatsapp, téléphone …) pour rompre l’isolement des équipes qui va nuire au collectif.
- éviter la culpabilisation qui pousse à auto-augmenter son temps et sa charge de travail.
- surveiller de près notre hiérarchie qui va vouloir augmenter encore la pression.
- ne pas oublier les dossiers en cours : retraite, examens anticipés du bac (E3c), revalorisation salariale, etc…
- et préparer l’après : car il est hors de question qu’après un coup pareil, ça reparte comme en 2008 comme si de rien n’était !
Cette situation ne peut plus durer car il est illusoire de faire croire aux élèves, aux familles et aux personnels que l’ « école à distance » peut remplacer sans aucune faille l’école tout court, que les programmes seront terminés, que faire pleuvoir numériquement des devoirs et activités sur les élèves peut remplacer l’enseignement réel et l’apprentissage en classe.
Dans cette crise de sanitaire majeure, la CGT Educ’action rappelle que la mise en place de l’enseignement à distance n’annule pas le droit du travail des travailleurs.ses et par conséquent, également des personnels de l’Education Nationale, qu’ils/elles soient enseignant·es, administratif·ves, titulaires ou contractuel·les.
Le capitalisme libéral a une nouvelle fois joué avec nos vies, il va devoir rendre des comptes, au besoin devant la justice, et pas seulement aux personnels soignants, mais à l’ensemble des citoyens.