Alors que les tenant·es du capitalisme et de l’ultralibéralisme (gouvernements et patronat) proclament depuis des décennies, à grand renfort de médias, que notre système social est en déliquescence du fait des « charges sociales », il nous paraît essentiel de rappeler que le modèle social français a une particularité. Ce ne sont pas des « charges sociales » mais des cotisations sociales (salariées et patronales) et elles font partie intégrante du salaire. C’est le salaire socialisé ou différé, celui qui crée la différence entre salaire net (ce que touchent les salarié·es en fin de mois) et le salaire brut. Les cotisations sociales servent à financer de façon solidaire et collective la protection sociale, le régime de retraites, l’assurance chômage, les allocations familiales.
Elles ont pour finalité de protéger les salarié·es des événements inhérents à l’activité et à l’existence tout au long de leur vie. Les baisser, en exonérer les entreprises, outre le fait que cela détruise le système de sécurité sociale, est une véritable baisse des salaires des travailleur·ses, c’est du vol !
La construction de notre système de retraite s’est faite progressivement avec un objectif porteur des valeurs de progrès, solidarité, démocratie et transformation de la société. Avec différents régimes, il regroupe un ensemble de droits couvrant tout le salariat. Pendant de nombreuses années, la retraite a permis d’assurer un niveau de vie moyen des retraité·es à parité avec celui des actif·ves.
Le système de retraite par répartition repose sur un pacte social intra et intergénérationnel. La retraite doit être envisagée comme un « vrai salaire socialisé » à cotisation et prestation définies : principe fondé sur les cotisations des actif·ves pour financer immédiatement les prestations déterminées des retraité·es ou pensionné·es et sur l’ouverture de droits définis pour les cotisant·es.
La cotisation doit rester le fondement de notre système par répartition à la fois contributif et solidaire (solidarité entre les générations, solidarité entre les individus, solidarité entre les professions).
C’est bien parce que les cotisations sociales échappent en partie aux poches des actionnaires et qu’elles mettent à mal la volonté de développer les assurances privées, la rentabilité et la concurrence « libre et non faussée » chères (dans tous les sens du terme) au patronat, que les différents gouvernements successifs, suite aux injonctions du MEDEF et de l’Union Européenne, cherchent à remettre en cause la Sécurité Sociale en général et en particulier notre système de retraite et ce depuis des décennies !
Des attaques tous azimuts pour développer la capitalisation !
Depuis le milieu des années 80, les mesures et réformes successives ont programmé dans le temps une redoutable baisse du niveau des retraites à leur liquidation et tout au long de leur perception : désindexation des pensions de retraite par rapport aux salaires qui a rompu la solidarité entre actif·ves et retraité·es, révision de tous les paramètres de calcul du montant de la retraite.
Les attaques contre le système de retraite ont d’abord touché le régime général avec le passage des dix meilleures années de salaire aux vingt-cinq meilleures et le passage de 37,5 annuités à 40 pour accéder au taux plein (réforme Balladur de 1993).
La réforme de 2003 a confirmé cette logique et a étendu le passage de 37,5 annuités à 40 pour les fonctionnaires en 2008 (réforme Fillon). Elle instaure un système de décote et de surcote qui pénalise les carrières incomplètes (les femmes sont particulièrement touchées) et favorise la poursuite d’activité au-delà de 60 ans. Cette réforme s’est accompagnée de celle de l’Ircantec (caisse de retraite complémentaire des agent·es non titulaires de la Fonction Publique) qui prévoit une baisse moyenne des pensions de 25 % à terme.
La réforme Woerth-Fillon de 2010 acte le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite pour atteindre 62 ans en 2018 (et n’a pas été remise en cause par le gouvernement Hollande lors de la contre-réforme de 2012).
L’âge à partir duquel un·e assuré·e peut partir à la retraite sans pénalisation lorsque la durée de cotisation n’est pas atteinte passe progressivement de 65 à 67 ans. Cette réforme prévoit également que le taux de cotisation retraite acquitté par les fonctionnaires soit aligné sur celui du secteur privé passant de 7,85 % à 10,55 % en 10 ans. Le dispositif de départ anticipé sans condition d’âge pour les parents de 3 enfants ayant 15 ans de service, et qui n’a aucun équivalent dans le privé, sera progressivement fermé.
Dans la Fonction publique le minimum garanti est désormais soumis à la même condition d’activité que dans le secteur privé, c’est-à-dire qu’il faudra désormais que les fonctionnaires aient bien cotisé tous leurs trimestres ou qu’ils·elles attendent l’âge du taux plein pour pouvoir en bénéficier.
Le dispositif de carrière longue modifié en 2010 (les salarié·es ayant commencé avant 18 ans peuvent partir à la retraite au plus tôt, sous réserve d’avoir la durée de cotisation requise pour leur génération, plus 2 ans.) est assoupli par un décret du 2 juillet 2012 : les personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ans (18 ans auparavant) et ont la durée de cotisation requise pour leur génération peuvent prendre leur retraite au plus tôt (la condition de 2 années de cotisation supplémentaires est supprimée).
Ce décret prévoit aussi la possibilité de prendre en compte 2 trimestres de périodes de chômage indemnisé et 2 trimestres supplémentaires liés à la maternité, en plus de l’intégration de 4 trimestres de périodes assimilées liées au service national et jusqu’à 4 trimestres de périodes assimilées liées à la maternité ou à la maladie.
La réforme Ayrault de 2013 poursuit dans le même sens avec l’allongement de la durée de cotisation : à compter de 2020, le nombre de trimestres de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein (sans décote) va augmenter d’un trimestre tous les trois ans jusqu’en 2035. Ainsi à partir de la génération née au 1er janvier 1973, la durée de cotisation est fixée à 172 trimestres (43 annuités). Les retraites de base ne seront plus revalorisées par rapport à l’inflation au 1er avril mais au 1er octobre de chaque année.
L’accord signé en mars 2013 par une partie des organisations syndicales (CFDT, CFTC et FO) sur les retraites complémentaires AGIRC-ARRCO prévoit qu’elles évoluent en 2014 et 2015 en fonction de l’inflation annuelle moyenne moins 1 point. Ce qui correspond en fait au gel des retraites complémentaires.
Retraite par points : tous les salarié·es et retraité·es perdants
Au nom de l’égalité, Macron veut instaurer un « régime universel », supprimant donc tous les régimes spéciaux dont le Code des pensions des fonctionnaires, la CNRACL, etc. Son programme énonce : « Avec un principe d’égalité : pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous ». Principe qui n’a rien à voir avec la solidarité qui fonde nos régimes de retraite : on cotise également pour ceux qui sont empêchés de travaille : malades, privé·es d’emploi, handicapé·es, etc. N’auraient-ils plus de droits avec M.Macron ?
Pour ce faire, Macron veut s’appuyer sur le modèle suédois, un modèle par points dit à comptes notionnels. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ?
Chaque cotisant·e possède un compte individuel qu’il alimente par des cotisations dont le taux est imposé. Chaque année, l’Etat envoie à chaque actif·ve un état de situation qui précise à chacun·e le montant de sa future pension. Suivant l’âge effectif de départ, la retraite est égale au capital de cotisations accumulées, divisée par l’espérance de vie de la génération de l’assuré·e. Plus on part tôt et plus la pension est faible. La notion d’âge légal disparait, celle de « décote » est généralisée. En Suède, l’âge moyen de départ en retraite est de 65 ans, qui est l’âge d’obtention du minimum vieillesse (pension minimum garantie à condition d’avoir au moins 65 ans et d’avoir résidé en Suède pendant au moins 40 ans entre 25 et 64 ans !). Pour espérer mieux, il faut souscrire à une retraite par capitalisation.
Dans ce pays où les pensions de reversion ont été supprimées car jugées trop coûteuses, la crise économique a agi sur les automatismes prévus dans le système notionnel : hausse des cotisations imposées aux actif·ves, pour une moindre accumulation des droits et surtout, conséquence inconcevable en France car jamais pratiquée, une baisse des pensions de retraite déjà liquidées. En effet, pour un « ajustement technique » les retraites ont baissé en Suède en 2010 (-3 %), 2011 (-4,3 %) et 2014 (-2,7 %).
Dans le système suédois, le compte est individuel mais le régime est quand même géré en répartition. Les pensions touchées par les retraité·es d’aujourd’hui sont versées par les actif·ves. Mais ce système par répartition est géré comme s’il s’agissait d’un plan d’épargne individuel administré par une banque. Dans ce système, il n’y a aucune solidarité intergénérationnelle.
- Un calcul sur toute la carrière aboutissant à la baisse généralisée des pensions : le·la salarié·e cumule des points tout au long de sa carrière en fonction de la valeur d’achat du point et le montant de la retraite est déterminée en multipliant l’ensemble des points par la valeur du point à la liquidation des droits…
- La fin du montant de pension garanti : c’est fin des prestations définies. Alors qu’aujourd’hui le montant de la retraite est prévisible et garanti (en fonction des 6 derniers mois ou des 25 meilleures années), avec ce nouveau système tout dépendrait de la valeur du point au moment du départ… valeur fixée par le gouvernement en fonction des possibilités budgétaires du moment et pour rester à l’équilibre !
- La fin des droits collectifs : aucune prise en compte des malades, des privé·es d’emploi, bref de toutes les personnes qui ne toucheraient que des salaires amputés. Les pensions de reversion sont menacées. Derrière une pseudo équité, c’est en fait l’amplification des inégalités et la fin de la solidarité. Ces droits représentent 60 milliards d’euros !
- La fin de l’âge légal de départ à la retraite : pour avoir une retraite décente (et encore !) les salarié·es reculeront leur départ à la retraite.
Quel est le véritable but de cette réforme ?
Il s’agit de faire baisser le niveau des pensions de manière suffisamment forte pour que chacun·e « de son libre-arbitre » (mais avec le couteau sous la gorge !) soit conduit (pour celles et ceux qui le pourront !) à se constituer une retraite par capitalisation pour s’assurer un complément rendu indispensable par le montant dérisoire de la retraite de base.